∞ 1. Es-tu satisfait de ta vie actuelle? Te sens-tu heureux?

Franchement vous avez de ces questions ! Non, on peut pas dire que je suis heureuse. Vous afficheriez un sourire rayonnant si vous veniez de perdre votre sœur jumelle d’un cancer du côlon ? Non ? Bah voilà vous connaissez mon état d’esprit. Mais bon, c’est pas pour ça que je vais me laisser abattre, soyons clair. Karen n’aurait pas voulu que je me laisse glisser donc je fais tout ça pour elle. Et puis bon, j’ai un travail qui me passionne donc je me plonge à fond dedans pour ne pas … pour ne pas penser à toute cette colère que je ressens et bien sûr toute ma peine. C’est mon boulot qui m’aide à tenir le coup.

∞ 2. Si tu pouvais changer un ou plusieurs éléments dans ta vie, lequel/lesquels choisirais-tu?

Ça c’est facile ! j’aurais aimé que ma sœur ne soit pas malade. C’est idiot je sais. Vous pouvez même trouver ça complètement débile ou même gamin mais j’aurais vraiment aimé vivre les meilleures années de ma vie avec ma jumelle. Soyons clair, elle n’a pas été malade pendant 28 ans mais à cause de ses polypes au côlon et à l’estomac, nos parents faisaient toujours attention à elle, sa nourriture, ils la surprotégeaient et on pouvait jamais être vraiment toutes les deux. Les seuls vrais moments à deux, c’était, malheureusement, quand elle était à l’hôpital et que nos parents allaient voir les médecins ou partaient travailler et me laissait rester avec Karen.

∞ 3. Aujourd'hui, on parle beaucoup de "repartir à zéro". Tu en penses quoi toi? Tu serais prêt à le faire?

Honnêtement je ne sais pas. On dit que les choses n’arrivent jamais sans raison, les épreuves que j’ai vécu font que je suis comme ça maintenant, mais si ce n’était pas arrivé, est-ce que j’en serais là encore aujourd’hui ? ….

∞ 4. Finalement, si tu pouvais résumer ta vie en cinq mots, lesquels choisirais-tu?

famille, hopital, boulot, chirurgie et manque de sommeil *rire*

Comme tous les matins depuis maintenant 4 ans, Mara enfila sa tenue de médecin : tenue bleu clair, blouse blanche, stéthoscope et ses converses. Mais ce matin, pas de chirurgie pour la belle brunette. Soupirant longuement, elle ne prit pas la peine d’attacher sa lourde chevelure brune et partit en direction du bureau du psychologue qui la suivait depuis 1 mois. Elle n’aimait pas le Dr Wyatt. Déjà la première fois où elle l’avait vu, elle s’était dit que ça passerait pas. Du coup, depuis le départ, elle se braquait et parlait de tout sauf de sa sœur jumelle. Et oui, on avait obligé Mara à venir voir la psychologue puisqu’un mois plus tôt, on avait découvert que le cancer de sa sœur jumelle s’était étendu et ne touchait non seulement plus le côlon mais aussi l’estomac, le pancréas, et le rectum. N’étant pas pris à temps, Mara avait compris que les chances de survie de Karen étaient très mince. Pour la première fois de sa vie, elle aurait aimé se tromper mais non. Deux semaines plus tard, alors que le Dr Webber était entrain d’opérer Karen, elle fit non pas un arrêt mais trois arrêts cardiaques. Placée en réanimation, la jeune Karen ne se reveilla jamais.

Mara frappa trois fois à la porte du bureau de la psychologue et n’attendit pas que cette dernière lui donne la permission d’entrer, elle savait qu’elle n’avait pas de patients à cette heure-ci, ce jour-ci : il lui était spécialement réservé ce créneau horaire. Ô joie !

« Bonjour Mara. »
« Bonjour. » dit Mara d’une voix neutre.

Aujourd’hui et comme à chacune de ses séances, elle n’avait aucune envie de parler … et encore moins aujourd’hui puisqu’elle n’allait pas pouvoir la baratiner avec une journée de boulot (mais sans opération parce que depuis la mort de sa sœur, elle devait avoir l’aval du Dr Wyatt pour savoir si elle était toujours apte à être chirurgienne) qu’elle viendrait de faire puisqu’elle avait eut – miraculeusement ! – un jour de repos.
La brunette s’assit sur le sofa et jeta un coup d’œil au Dr Wyatt avant de croiser ses jambes et soupirer longuement.

« J’ai rien à vous raconter aujourd’hui puisque j’étais en repos … disons en repos forcé vu que le Dr Sheperd n’a même pas pensé à m’appeler pour la craniotomie de ma patiente enceinte de 7 mois. On devait attendre qu’elle accouche mais l’abcès cérébral a empiré … Mais puisque vous m’avez pas donné mon autorisation d’opérer, j’ai même pas vu voir l’intervention. Je suis pas addict à la neuro comme la famille Sheperd mais c’était MA patiente, vous comprenez ? »

Le Dr Wyatt acquiesça mais ne prononça pas un seul mot ce qui rendit Mara folle de rage. Elle se pinça la lèvre inférieure et roula des yeux. Cette bonne femme l’exaspérait au plus haut point !

« Un abcès cérébral comme votre sœur. » dit calmement le Dr Wyatt en fixant la réaction de sa patiente.
« J’ai pas envie de parler de Karen » répondit Mara d’un ton catégorique.
« Pourtant, si vous êtes ici c’est bien pour elle non ? »

Mara lança un regard noir à la psychologue. Elle soupira encore longuement, balançant sa jambe croisée avec impatience et évita au maximum le regard du médecin sentant des larmes perler au coin de ses yeux. Parler de Karen au passé, ça serait admettre complètement qu’elle n’était plus de ce monde et c’était très dur !

Après cinq longues minutes où on aurait pu entendre des mouches voler, Mara se décida à parler.

« Qu’est-ce que vous voulez savoir ? … je crois que je suis prête à en parler. »
« Si vous admettez que vous croyez être prête c’est que vous l’êtes Mara. »
« N’en faites pas trop Dr Wyatt … j’ai dit que je croyais être prête, c’est tout ! bref … »
« Parlez-moi de Karen … ce que vous souhaitez, votre relation avec elle, des anecdotes, ce que vous voulez. »
« C’est vaste ! » dit-elle avec un petit sourire.

La jeune résidente s’était apaisée et joué avec ses doigts nerveusement. Elle se mordit plusieurs fois la lèvre inférieure avant de reprendre la parole.

« Avec ma sœur on a les même prénoms. Ça suffisait pas qu’on soit née le même jour à 8 minutes d’écart il fallait aussi qu’on ait les même prénoms. Moi c’est Mara Karen et ma sœur Karen Mara. Nos parents voulaient pas se compliquer la vie donc voilà ce que ça a donné … surtout que l’obstétricien leur avait certifié qu’on était pas de « vrais » jumelles et donc qu’on ne se ressemblerait probablement pas beaucoup. Il a eu tout faux ! Avec Karen on se ressemblait comme deux gouttes d’eau. Il n’y avait que notre mère qui pouvait nous différencier, papa en était incapable. » dit-elle avec un petit rire sans joie. « Mais on est nées prématurées… à 6 mois et demi. Karen pesait 990 grammes et moi 1kg100. Dès le départ, on a eu des des problèmes de santé. J’avais mes deux valves mitrales qui n’étaient pas formées et Karen des problèmes à l’estomac. Après les opérations, on pensait être tranquilles mais Karen a continué à avoir des problèmes. Toute petite déjà elle avait des problèmes avec la nourriture et on s’est rendu compte qu’elle avait beaucoup de polypes au côlon. Aucuns n’étaient cancéreux mais il fallait les surveiller. Et puis a 14 ans, après une coloscopie le verdict est tombé : cancer du côlon. Un cancer assez fulgurant mais elle a été traité et le cancer a régressé. L’oncologue parlait même de guérison complète ! Avec Karen on était tellement contente. On allait enfin pouvoir sortir toutes les deux, faire les 400 coups ensembles. On a passé des années géniales et on se rapprochait de plus en plus. Vous savez je crois vraiment que…que quand on a un jumeau ou une jumelle, on a un lien encore plus fort que quand on a un simple frère ou sœur. Avec Karen, on avait pas besoin de se parler, on se comprenait desuite. Quand on a fini le lycée, elle a voulu devenir infirmière moi faire médecine donc on a pris un appartement ensemble. On travaillait toute les deux en dehors des cours et le soir on révisait ensemble. Quand Karen a enfin terminé ses études, on a respiré. Elle ramenait un salaire plus conséquent, ça nous a beaucoup aidé ! Et ironiquement, elle a bossé en cancérologie au SGH. Elle disait qu’elle comprenait les malades mieux que n’importe qui… C’était vrai mais j’arrivais pas à comprendre son choix ! Et puis voilà on a toujours vécu ensemble jusqu’à ce qu’elle se remette à vomir de manière inexpliquée, à ne presque plus manger, ect … Elle a passé des scan, IRM, tous les examens possibles et inimaginables et le diagnostique est tombé : cancer généralisé. Elle est passée de soignante à patiente en cancérologie. Je vous jure que ça m’a rendu malade ! et voilà… » finit-elle en sentant sa voix déraillée. « Et voilà … elle est partie et j’ai l’impression qu’une partie de moi est morte. Le seul moyen que j’ai trouvé pour pas m’effondrer c’est travailler. Elle aurait pas voulu que je laisse tomber ! »
« Et vous Mara. C’est ce que vous voulez ? Continuer la chirurgie pour vous ou simplement pour rendre hommage à votre sœur ? »
« Non ! La chirurgie c’est ma raison de vivre ! Mon oxygène. Je m’imagine pas faire autre chose de ma vie, c’est trop important ! »

Le Dr Wyatt fixa sa patiente durant quelques secondes puis fini par signer un papier qu’elle tendit à Mara qui essuyait ses yeux.

« Voilà votre autorisation d’opérer Dr Hendricks… si vous voulez encore parler, je suis disponible »

Pour la première fois de la journée, Mara fit un vrai sourire et sautilla sur place en criant « merci » au médecin avant de sortir de son bureau en courant direction : le BLOC !!!!